Celles et ceux qui me suivent depuis un moment savent bien qu'entre les reprises et moi c'est une très longue histoire qui n'est pas prête de se terminer… Comme toute relation, il y a évidemment des hauts et des bas, parfois même les deux ensemble !!! Après avoir écouté l'album " Gentlewoman, Ruby Man " qui regorge de merveilles et sortira le 13 janvier 2017, je peux vous garantir que l'on est dans le très très haut de gamme en matière de reprise.
L’album regroupe des duos de reprises hors des sentiers battus d'artistes aussi divers que Leonard Cohen, Roy Ayers, James Blake, The Velvet Underground, Frank Ocean, George Harrison, Charlotte Gainsbourg, Frankie Valli, et même Nino Ferrer et Radiah Frye. Sur ce luxueux répertoire, Flo Morrissey et Matthew E. White nous ensorcelent à dix reprises, la grâce et la ferveur de leurs voix si différentes font mouche à chaque fois.
Tous les disques racontent une histoire, quelques tours de cadran avant que l’aiguille ne s’arrête. Une jeune chanteuse anglaise traverse l’océan pour passer deux semaines avec un auteur-producteur américain à la voix calme dans un studio de renommée internationale dans une ville modeste de Virginie. En face d’un champ où paissent des chevaux tranquilles, elle se laisse baigner par le soleil printanier et l’air dense du sud, et dans ce repaire de petits génies musiciens, elle leur donne quelques leçons sur la vie et la manière de ressentir la musique. Puis ils concoctent d’incroyables reprises, à la fois familières et novatrices, ou peu connues bien qu’anciennes, dans un style décontracté capturant l’essence des chansons et un peu de la folie de ce que c’est que d’être humain. Le producteur connaît son job, elle déclenche des feux d’artifice pour son premier 4 Juillet aux USA, la session se déroule sans encombre, les éclairs sont mis en bouteille, puis elle rentre chez elle. Et on a envie de partir avec elle, de voyager les yeux fermés.
Flo rencontre Matthew en personne pour la première fois à l’automne 2015 à un concert en hommage à Lee Hazelwood au Barbican à Londres, où tous deux ont chanté " Some Velvet Morning ", fait évoluer leur correspondance en une belle amitié et discuté du désir de bientôt collaborer. Ce désir a donné naissance à " Gentlewoman, Ruby Man ", un disque classique de duos par bien des aspects, d’un genre désuet, sur lequel deux entités distinctes se rencontrent pour enregistrer une série de grandes chansons, à la manière de Marvin et Tammi. Mais il s’agit aussi quelque-chose de moins classique, où les deux parties se répondent avec subtilité, partageant la lumière. Un disque comme " Gentlewoman, Ruby Man " peut sembler inévitable, mais c’est un petit miracle et un hommage à l’effort et à l’alchimie existant entre ces deux artistes qui ont réussi à faire fonctionner le tout, à se trouver et à collaborer sur un projet de ce type d’une rive à l’autre de l’Atlantique dans le paysage musical incertain du XXIème siècle.
Morrissey et White semblent voués à voyager au-delà des genres, même s’ils ont exploré des territoires plus classiques sur leurs albums précédents. Le premier album de Morrissey, Tomorrow Will Be Beautiful (2015), est un disque honnête et lumineux, un joyau unique au sein de la scène neo-folk rock, qui n’est pas sans rappeler les exceptionnels enregistrements acoustiques de Devendra Banhart et Joanna Newsom au début des années 2000. L’incroyable premier album de White, Big Inner (2012), tout comme le suivant, Fresh Blood (2015), offrent un véritable périple au cœur de la southern soul, entrepris avec sa famille musicale basée à Richmond. Gentlewoman, Ruby Man, qui se termine par une sublime psalmodie à Krishna, est un peu plus difficile à étiqueter. Mais cela fonctionne, et reflète à merveille l’univers unique de ce projet, univers que connaissent ceux qui ont suivi le travail de White pour son label/maison de production Spacecomb.
La méthode de travail de White consiste à équilibrer préparation et respect pour l’intuition du musicien. Ce qui le différencie des autres producteurs rock de sa génération puisant leur inspiration dans des décennies d’enregistrements, c’est son bagage jazz et son approche sophistiquée de l’art de l’arrangement dans la tradition de Quincy Jones, le tout saupoudré de quelques brins de l’ADN psychédélique de Brian Wilson. Morrissey a injecté une dose d’allégresse sereine au tout. Elle a choisi de faire confiance à White, tout en n’hésitant pas à apporter ses propres lumières et à faire valoir ses opinions en studio.
La voix éthérée de Flo a gagné en puissance avec les années, apportant une richesse et une dimension magiques à tout ce qu’elle touche. Le chant doux de White accompagne celui de Morrissey, ou prend parfois le dessus. Voilà de grandes chansons, enregistrées en confiance, sans conflit d’ego, avec un groupe fougueux et libre, loin des conventions. Un album de reprises aurait pu verser dans l’éclectisme gratuit, ses auteurs auraient pu le concevoir à des fins purement commerciales ou pour étaler leurs références, mais White et Morrissey ont simplement choisi de bonnes chansons, parfois inattendues, qu’ils aiment et qui leur parlent, de " Grease " (1978) à une interprétation émouvante du " The Colour In Anything " (2016) de James Blake. Dix titres qui font chaud au cœur et au corps.
Liste des chansons
1- Look At What The Light Did Now (Little Wings)
2- Thinking ‘Bout You (Frank Ocean)
3- Looking For You (Nino Ferrer)
4- The Colour In Anything (James Blake)
5- Everybody Loves The Sunshine (Roy Ayers)
6- Grease (Barry Gibb/Frankie Valli)
7- Suzanne (Judy Collins/Leonard Cohen)
8- Sunday Morning (Velvet Underground)
9- Heaven Can Wait (Charlotte Gainsbourg/Beck)
10- Govindam (George Harrison)